FIGUEIDO Isabela, Carnet de mémoires coloniales

Figueiredo Isabela, Carnet de mémoires coloniales

Il y a un contraste étonnant entre la couverture du livre et son contenu. 

Le choix de l’éditeur, Chandeigne, de présenter la page de garde de ce roman, traduit du portugais, sous la couleur douce d’un bleu rappelant l’enfance, un palmier blanc derrière une petite fille, à la robe blanche, à la natte blonde, aux sandales d’été, palmier et enfant, chacun devant une ligne blanche, pure, idéalisée, deux destins différents, deux pages blanches à écrire, l’indépendance du Mozambique (où l’écrivaine est née) et le retour au Portugal pour devenir une retornada, accompagneavec contraste et force l’écriture de la narratrice. 

Si le roman débute par l’irruption du père dans un rêve de la narratrice, père alors mort, l’expression j’ouvris les yeux, donne le ton du roman qui est la découverte du colonialisme par l’enfant, dans le comportement des blancs, dans la retranscription du langage pour parler des colonisés, et rendue par l’écriture de l’adulte. Mais cette scène inaugurale dit aussi le lien fort entre la fille et son père, liens d’admiration, de fascination, de tendresse, mais liens mis à mal par le temps et la prise de conscience de la colonisation portugaise du Mozambique, dont le père fut partie prenante. 

La langue de la narratrice est sans ambages dans l’évocation de la sexualité des hommes recherchant le plaisir avec les femmes noires, …elles oui baisaient et avec tous les hommes qui se présentaient, les Noirs et les maris des Blanches, pour un peu d’argent, sûrement pour de la nourriture ou par peur. Certaines aimaient ça, sans doute, et elles feulaient, parce que les Noires étaient des bêtes et qu’elles pouvaient feuler. L’on retrouve le cliché de la sexualité arrimé à la sauvagerie des colonisés, au contraire de la civilisation et de la religion supérieures des colonisants. Est-ce cela qui poussaient les hommes à rechercher ces femmes plutôt que leurs épouses, femmes sérieuses… Une blanche accomplissait son devoir ? Et cet état de fait est rapporté par les femmes blanches, ajoutant une ironie cynique dans cette justification de la colonisation des corps, en plus du pays. Colonisation  autorisée et acceptée.

Pour les blancs, la colonie permet aussi une socialisation et une réussite rapide. Nous étions presque tous patrons et ceux qui ne l’étaient pas, avaient l’ambition de le devenir.
Pour atteindre ce but, on avaient toujours sous la main beaucoup de nègres, tous fainéants au départ, abrutis, incapables…
Autre cliché caractérisant la population noire mis en évidence.
Dans toutes les colonisations, « l’indigène » ou « l’autochtone » est pourvu de toutes les tares humaines, allant de la paresse viscérale à la duplicité, inférieur incapable de penser. Le regard des blancs est méprisant, celui de l’enfant, sensible à cette perception, veut imiter les africains pour comprendre et abolir ce mépris: elle imite et devient une blanche qui se veut être eux. Une impossible transmutation.

La petite fille voudrait contourner ces clichés en nouant des liens mais aussi en considérant ses parents dans leurs relations avec les colonisés. Cette triade montre un père avec lequel elle entretient une relation fusionnelle,  être premier de son affection, le modèle de sa vie d’enfant, au-delà de ce qu’elle voit. La fillette perçoit  la colère et le malaise de la mère, à l’image des autres femmes de la colonie, la seule forme d’affection pour sa fille,  la correction de son attitude et le contrôle de son habillement. 

Et ce qu’elle écrit sur ce corps qui fut controlé mais aussi confronté à celui du père: 
Mon corps fut une guerre, il était une guerre, il a payé toutes les guerres. Mon corps luttait contre lui-même, corps à corps, mais celui de mon père était imposant, pacifique. Le corps de mon père lui appartenait et il valait le coup. Son corps était celui de l’autre qui était en moi, mais sans guerre…
Relation quasi incestueuse avec ce père, exultant de vie avec une enfant corsetée par la mère, dans une impossibilité d’être l’autre, le colonisé.
Je reçus en pleine figure tous les discours de haine de mon père…Je sentis les postillons de la haine, plus insupportables que ceux de l’amour et j’affrontais, les yeux dans les yeux, sa rage, sa frustration, son idéologie si infâme. Je l’écoutais sans rien dire, sans un signe d’assentiment, sans l’ombre d’un tressaillement, et moi toute entière, j’étais un non d’acier.
… J’eus peur de mon père… Qu’il me dise tu n’es pas ma fille, parce que ma fille à moi n’aime pas les nègres, elle ne rêve pas des nègres.

La fin de ce roman qui raconte la colonie et ses violences, dit aussi l’arrachement, l’exil du pays de naissance. En voyant un jour, adulte,  l’écusson du Mozambique sur la manche d’un militaire, le désir de la narratrice de lui dire qu’elle était de ce pays-là se confronte immédiatement à ce questionnement : Qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire de savoir qu’existe au fond de moi une terre d’où je suis exilée ?

Plusieurs chapitres reviennent, comme des intermèdes, sur ce mouvement de départ, tel une vague incessante. Difficilement pensable dans sa dureté. Difficilement oubliable. Départ violent, brutal à l’âge de treize ans, l’âge de la puberté, celui du danger pour cette enfant devenue jeune fille, danger du sexe, danger de la guerre, le sexe comme la guerre, la possession. Et la guerre était là. Le Frelimo* et une guerre de dix ans. Trois ans dans la paix de la toute petite enfance et dix ans dans la guerre d’indépendance. 

Traces indélébiles.

Le retour en métropole. Violence. Rejet. Incompréhension. 
L’accueil méprisant. 
La pauvreté en métropole. Dans sa famille. Et le froid. 
Le déclassement. 

Dans la colonie, les rapports dans l’échelle sociale étaient différents.
Je compris cette année là ce que disait mon père quand il expliquait que nous n’étions ni pauvres ni riches mais modestes. Être pauvre, c’est dormir sur un matelas de paille. Être pauvre, c’était manger du lard avec des patates et du chou. Être pauvre, c’était se laver dans une grande bassine…Être pauvre, c’était entendre sa grand-mère dire qu’il valait mieux laver le linge des autres que d’étudier….
La pauvreté aggrave la rancoeur pour ceux que l’on appelle les retornados. Véritable charge de la narratrice contre les portugais, laids, renfrognés, pauvres, le visage éteint, les mains vides. Petits. Contre leur vision étriqué du monde. Contre leur incapacité égocentrique de penser ce que furent les relations difficiles ou humiliantes entre colonisateurs et colonisés. Ignorance de la vie des colonisés. Savoir fantasmé sur celle des colons.
Ils prenaient plaisir à nous dénigrer, nous jetant à la figure que c‘était dur parce qu’ici il n’y avait pas de petits nègres pour nous laver les pieds et les fesses, alors qu’eux ces fainéants de merde n’avaient jamais rien foutu de leur vie, n’avaient jamais su ce qu’était de construire une vie, et de tout perdre, des tristes, des minus, des résignés. 

Dans le retour, souvent tragique de ceux qui étaient nés dans les colonies, bien après la colonisation. La métropole ne supporte pas ceux que l’on pense être des profiteurs, même si dans la colonie, ils étaient modestes maismoins pauvres que les colonisés. 

Ce Carnet de mémoires coloniales pointe avec lucidité et douleur, dans un cri, la perte d’un amour, celui d’un pays et d’un père, métaphore du pays et de l’enfance perdue, ce que vivent la plupart des gens qui reviennent après les indépendances en métropole. Les mots, abruptes, dés les premières lignes, disent l’ignorance dans laquelle sont la plupart des sociétés de ces situations là avant que l’on commence enfin à en parler.
Le silence à la place de la parole.
La parole, libération et compréhension. 

Mais plus encore. 
Les retornados, en plus d’affronter l’incompréhension de la métropole, affronte un sentiment nouveau. Celui-ci dure toute la vie. 
Celui-ci ne peut s’effacer. 
Il reste, accroché, au fond d’eux. 

Les exilés sont des personnes qui ne peuvent plus revenir au pays de leur naissance, qui ont rompu avec lui les liens officiels, pas les liens affectifs. Ils sont indésirables dans leur pays de naissance, parce que leur présence rappelle de mauvais souvenirs. 

Dans le pays où je suis née, je serai toujours la fille du colon. Cette tache pèserait sur moi. Le prix à payer, plus que probablement. Mais le pays où je suis née existe en moi comme une salissure de cajou, impossible à cacher.

Ghyslaine Schneider

* La guerre d’indépendance fut soutenue par le Frelimo (Front de Libération du Mozambique). Il y eut les accords de Lusaka, le 7 septembre 1974 et l’indépendance, le 25 juin 1975. La guerre dura de 1964 à 1974. En 1973 se créa les premiers comités du parti et leurs écoles. 

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BRECHT Bertolt, La vie de Galilée

Voir cette  pièce de théâtre est la première chose à faire. Se trace alors dans la mémoire les mouvements des personnages dans les différents espaces de Venise, Florence, Rome et la frontière italienne. Mais lire le texte de Brecht, après l’avoir vu au théâtre, permet d’en saisir l’ampleur, de se poser d’autres questions en prenant le temps de s’arrêter,  et aussi d’en tirer des fils vers le monde contemporain. N’était-ce pas en filigrane, l’intention de Brecht, lors de l’écriture de la pièce en 1939 ?

Il ne s’agit pas de retracer ici la vie de Galilée, allant de recherches en découvertes, mais de la présenter dans la perspective induite par le dramaturge, le combat de la science contre l’obscurité.  Ce principe peut se dérouler avec d’autres mots, la violence contre le droit de savoir ou de chercher. Il montre à quel point le savant avait compris l’utilité de la protection de certains esprits éclairés, dans cette époque où la papauté était toute puissante, où la religion conduisait politiquement la vie des hommes et les recherches des savants. 

Derrière Galilée se profile la silhouette de Giordano Bruno, brûlé parce qu’il ne pouvait rien prouver !  Il n’avait que les calculs et théories du mouvement des astres autour du soleil, et refusant la rétractation de ses découvertes imposée par l’Inquisition, il perdra la vie. Cette idée dangereuse, Galilée agira différemment. Perfectionnant les lentilles d’une lunette hollandaise, il réussit à construire les preuves de la théorie de Bruno, les deux savants se situant dans la lignée copernicienne. Comment sauver le savoir  lorsque la pression des autorités en place et les vérités établies contraignent le savant à renoncer à ses découvertes ?
Lui, Galilée croit en la douce violence de la raison sur les hommes. La plupart y succombent, et à la longue tous. Et il vrai qu’une partie des savants de l’Inquisition furent convaincus de ses théories.

En plus de l’importance de la raison démontrante, une autre remarque est avancée par un personnage, Sagredo, celle de la réaction des hommes à l’apparition de la vérité. C’est la nuit du malheur, celle où l’homme voit la vérité. Et l’heure de l’aveuglement, celle où il croit en la raison humaine. Comment les puissants peuvent-ils admettre une vérité lorsque celle-ci dérange, perturbe et veut changer l’ordre établi? Les hommes ne sont-ils pas menés aussi par d’autres affects que ceux de la raison ? L’intérêt, le ressentiment, la puissance du pouvoir, de l’argent …C’est à croire que l’homme a du mal à sortir de ce dilemme entre vérité et raison. 
Galilée compose avec l’aide sollicitée auprès des puissants pouvant l’aider à vivre pour continuer ses recherches. Un vrai paradoxe, et une énergie folle en la croyance des avancées qu’apportent ces deux notions: le raisonnement dans la recherche et la force de dire la découverte des sciences. 

L’inquiétude, la position de Dieu et les affirmations de l’Eglise, idées portées par Le Mathématicien qui interpelle  Galilée sur le fait que des astres peuvent errer librement dans le ciel. Comment les hommes peuvent-ils vivre en liberté sans le regard de Dieu? Peut-on agir sans son regard, sans son contrôle ?  Comment l’église de ce temps peut-elle admettre que ses dogmes soient remis en cause par les découvertes scientifiques ? 

Et l’Inquisition de s’en mêler: 
Pour ce qui est du sens des phénomènes que nous ne pouvons saisir… nous en avons attribué la responsabilité à un être suprême, nous avons dit que cela servait certains desseins et que tout cela découlait d’un vaste plan…mais à présent, vous accusez cet être suprême de ne pas savoir clairement comment se meut le monde des astres, ce que vous par contre, sauriez clairement. Est-ce sage ?

Dans ce processus de rappel impérieux aux croyances religieuses établies, il est important de porter un masque pour pouvoir continuer de faire ce que l’on doit. Car dénoncer cet ordre immuable serait bouleverser la vie des gens simples qui croient en l’Ecriture sainte qui a tout expliqué et tout justifié comme étant nécessaire, la sueur, la patience, la faim, la soumission et en qui maintenant on trouve tant d’erreurs. Et la science ne peut se taire pour ne pas déranger l’Église, l’ordre du monde et la vie des gens qu’elle a établis.

Peut-on trouver des parallèles dans notre société actuelle dans les remises en question sur l’importance de chacune des vies humaines et du navire qui nous porte ? Entre les intérêts de certains et l’intérêt de tous ?
Et Galilée de s’écrier: Ce ne sont pas les mouvements de quelques astres éloignés qui font dresser l’oreille à l’Italie mais la bonne nouvelle que des doctrines tenues pour inébranlables ont commencé à vaciller et chacun sait que celles-là sont trop nombreuses. Une certaine forme d’espoir.

Et chez Galilée, la volonté d’agir qui le pousse s’appuie sur la logique. Il prend cet exemple du pain sur la table, il y a ceux qui voient la pain que sur leur table ne veulent pas savoir comme on l’a préparé; cette racaille préfère remercier Dieu que le boulanger; mais ceux qui font le pain comprendront que rien ne bouge si on ne le fait pas bouger. C’est alors qu’il donne le mode d’emploi de la recherche: partir de l’hypothèse qui est avancée, l’immobilité de la terre comme exact, pour démontrer son inefficacité et faire apparaître ce qui est recherché  réellement: l’immobilité du soleil. 

Galilée fut obligé de se rétracter en juin 1633. Il accepta.
En revenant, entendant l’affirmation du jeune homme qui le suit depuis son enfance, Malheureux le pays qui n’a pas de héros, Galilée lui répond: Non. Malheureux le pays qui a besoin de héros. Derrière ces deux répliques, se cache le dramaturge. Parce que cette pièce, si elle donne à voir et à entendre une biographie du savant, elle projette l’ombre portée de l’époque qui en a vu son écriture, les moments où le fascisme se prépare à la guerre. Le passé permet de dire le contemporain.  

Sa réputation a gagné l’Europe comme ses théories.  
Galileo Galilei, prisonnier de l’Eglise usera ses yeux, le soir des nuits les plus claires à écrire les Discorsi, qui passeront incognito la frontière italienne, portés par Andrea, personnage qui traverse la pièce, comme un marqueur des changements du monde  que le passage du temps implique
C’est à se moment de la pièce, à la toute fin, que s’affirme la théorie que Brecht soutient dans cette pièce. Pour que la vérité se fasse jour, faut-il la défendre et en mourir, ou bien contourner l’opposition, y revenir subrepticement pour la faire jaillir en plein jour, en provoquant des conditions favorables ? Vous cachiez la vérité, dira Andrea. A l’ennemi. Dans le domaine de l’éthique vous aviez des siècles d’avance sur nous. …et Galilée lui avait déjà dit qu’il vaut mieux avoir les mains sales que vides. 

Il y a aussi cette belle idée qu’à l’affirmation irrévocable de pensées ou de théories, la remise en question, le doute sont fondamentalement plus productifs. L’analyse scientifique permet des découvertes mais aussi pointe ceux qui soutenaient le contraire et entraînaient les gens dans une vision étroite ou erronée. 

Cette idée, l’interrogation constante de ce qui est, issue d’un regard scientifique, paraît être universelle, et porte encore ses échos maintenant lorsque d’aucuns ne veulent pas voir le changement irréversible du monde. Cette idée demande un changement radical de penser ce monde. 

Et dans le sens pascalien du terme, Penser est l’un des plus grands divertissements de l’espèce humaine, dira Galilée.

Ghyslaine Schneider

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OZ Amos, Judas

Amos Oz, dans son roman Judas, s’attaque à la complexité de la naissance  et de la durée de l’État d’Israël, porté par un sionisme qui a des racines anciennes et des visions- conceptions qui ont évoluées au cours du temps, avant la seconde guerre mondiale. Mais il dit aussi la complexité des  êtres humains pris, à leur niveau personnel, dans ces mouvements de contexte historique, payant parfois le prix fort de leurs engagements ou de leurs visions utopistes ou novatrices (?). Et c’est la figure de Judas, celle du traitre  passé dans le temps, -comme une ligne directrice ou de questionnement, une traitrise possible à tous les niveaux, réels, humains ou idéologiques, qui parcoure,  à la surface comme en profondeur les pertes et les choses de ce roman fascinant. 

Comment trois personnages, en 1959, évoluent dans le huis-clos d’une rencontre qui semble être due au hasard? 
Celui-ci prend la forme d’une petite annonce à laquelle répond un jeune homme, Shmuel Asch, timide, tignasse et barbe ébouriffées, à la posture physique particulière, tête en avant menant le corps, qui abandonne ses études, un mémoire sur Judas dans la tradition juive,  à cause de la faillite de son père ne pouvant plus l’aider à les terminer. 
Il devient homme de compagnie d’un vieux monsieur invalide, et c’est ainsi qu’il pénètre  dans la maison de la rue Harav Elbaz, par une soirée humide d’automne. Jusqu’à l’arrivée du printemps, il restera là, entre  trois autres personnages, Gershom Wald et sa belle-fille, Atalia Abranavel, dont le père, mort, présent dans leurs esprits, devient le sujet de l’interrogation de Shmuel par la figure de traitre qui lui est accolée. 

Mais un fil soutient l’orchestration de ce roman, dans une Jérusalem nocturne, pluvieuse, froide, écrin qui enserre ces trois personnages, avec la force de la présence des morts, portant chacun un regard particulier sur Israël, soutenu par les douleurs de leur vie. Ce fil conducteur est celui de  l’amour, déçu, incompris, tué, et l’essentiel désir, ici, entre Atalia et Shmuel, entre fascination et rejet, dans l’apparition d’une tendresse attachante qui renvoie le jeune homme vers la vie, après ce séjour de silence, de réflexions, de repli et de volupté.

D’un côté, Gershom Wald, érudit, fin psychologue mais d’une laideur fascinante, enjoué dans ses discussions mais dont les yeux gris sous les épais sourcils blancs en démentaient l’ironie et exprimaient le détachement, la souffrance comme s’ils ne participaient pas à la conversation mais se fixaient sur quelque chose de terrible, insupportable, partisan de deux états,  et soutenant la politique de Ben Gourion.
De l’autre, Atalia, sa belle-fille, la fille de Shealtiel Abravanel qui restera fidèle aux idées de son père. Il pensait que le nationalisme enferme un état dans des frontières, et le narrateur de dire:

En 1948, Shealtel Abravanel, …avait tenté en vain de le (Ben Gourion) convaincre qu’il était encore possible d’arriver à un accord avec les Arabes sur le départ des Britanniques et la création d’une seule communauté judéo-arabe, à condition (d’abandonner) l’idée d’un État juif. 
Et il est défini par Wald  comme un rêveur, …qui croyait (comme Jésus, en référence à la thèse de Shmuel ) à l’amour universel, répondant alors à l’argument que Shmuel développait sur cette loi d’amour. Mais ce dernier rétorque: 

Qu’est-ce qui vous fait penser que les Arabes n’ont pas le droit de lutter de toutes leurs forces contre des étrangers qui ont débarqué ici comme s’il venaient d’une autre planète pour leur confisquer leur pays, leurs terres, leurs champs, leurs villages, leurs villes, les tombes de leurs aïeux et l’héritage de leurs enfants ?…Mais dites-moi, vous, s’il existe un peuple au monde qui accepterait à bras ouverts l’invasion brutale de centaines de milliers d’étrangers, puis d’autres millions encore débarquant de lointains pays sous le curieux prétexte que les livres sacrés qu’ils ont transportés avec eux leur promettaient ce pays tout entier pour eux seuls ? 

Mais le drame, la mort du fils, Micha, mon enfant, mon fils unique, arrête tous les discours entre les deux hommes, Wald et Abranavel, vivant depuis dans la même maison. Réfugiés dans l’étude et le silence, le mutisme. L’un, le père se sentant douloureusement responsable de l’engagement de son fils parce qu’il l’a élevé dans la nécessité de la guerre sainte, l’autre, parce que cette mort disait alors l’impossible entente tant désirée entre deux peuples,  mais au fil des années, comprise comme inévitable. Et Atalia de résumer son point de vue, celui d’une femme…

En somme, les Juifs forment ici un immense camp de réfugiés. Pareil pour les Arabes. Ils revivent jour après jour le drame de leur défaite, et les Juifs vivent nuit après nuit dans la peur qu’ils se vengent. Ça arrange tout le monde, on dirait. Les deux peuples sont rongés par la haine et le fiel, ils sont sortis de la guerre avec une soif de vengeance et de justice. Des torrents de vengeance et de justice. Au point que le pays est couvert de cimetières et de centaine de villages en ruine.

Le territoire donné aux juifs appartenait aux Palestiniens. Ce rapt, pensé comme inévitable par Gershom Wald, allait aboutir à une guerre permanente. Abranavel, lui, discutait avec ses amis arabes, parlait plusieurs langues. Il pensait que les deux peuples pouvaient vivre ensemble, en bonne intelligence, en résolvant les malentendus. Mais était-il trop en avance sur son temps ou totalement utopiste, il fut considéré comme une traitre et s’exila dans le silence de sa maison. Au moment de sa démission du Comité exécutif sioniste, le narrateur ajoute que, selon le camarade Abranavel, la ligne choisie par Ben Gourion et d’autres mènerait inévitablement à un affrontement sanglant entre deux peuples vivant sur cette  terre, un conflit dont l’issue était incertaine, un pari risqué mettant en jeu la vie ou la mort …

Mais de ces discussions surgit la figure du traitre que représente Judas, nom éponyme du roman et le traversant.
L’étude de Shmuel le situe dans la tradition religieuse. Pour les Juifs, Jésus est aussi un juif, et l’histoire s’est fixée sur lui en rejetant dans l’oubli le personnage de Judas. Le narrateur s’appuie sur des études faites sur Judas et sur Jésus, considérant ce dernier comme un juif. Judas, qui n’avait aucun besoin d’argent pouvant le pousser à trahir, fut fasciné par cet homme,  Jésus, l’investissant de qualités divines, incapable de percevoir sa nature humaine, homme soumis à la colère, seulement, dit-il, j’ai négligé la malédiction du figuier, et de victime…(il est) devenu le symbole de la persécution et de l’oppression. …Il est né et il est mort juif. C’est Paul, Saül de Thrace, qui a inventé le christianisme. 
Pour Shmuel, il était un réformateur rejeté par les Pharisiens. Mais à partir de là, se construit la religion chrétienne : Jésus, non reconnu par les juifs comme un des leurs, devient le point de départ d’une religion.  Cette figure de Judas a servi à construire l’antisémitisme chrétien depuis ce fameux baiser donné au Christ pour le désigner comme l’homme à arrêter : le traitre aux yeux des chrétiens. Le seul chrétien, explique Shmuel, ce fut Judas. Puis… 

Si les Juifs l’avaient reconnu, l’histoire aurait été différente. L’Église n’aurait pas existé. …Nous aurions évité l’exil, les persécutions, les pogroms, l’Inquisition, les massacres, les discriminations, sans parler de la Shoah

Mais  Wald explique à Shmuel: Judas ou pas, la haine des juifs n’aurait pas cessé ni diminué pour autant. Avec ou sans Judas, le Juif jouerait toujours le rôle du traitre aux yeux des croyants.

Cette figue du traitre représentée par Judas se retrouve aussi dans la famille de Shmuel, avec son grand-père, venu de Lettonie, employé par les Anglais, aidant aussi les militants sionistes qui l’assassinent, le pensant traitre à leur cause. Dans le monde politique, il en est de même pour …de Gaulle…élu grâce aux voies des partisans de l’Algérie française, et on apprit qu’il entendait abandonner ce pays et accorder l’indépendance à la majorité arabe, …pour Théodore Herzl …parce qu’il avait envisagé la création d’un État juif hors de la terre d’Israël, pour Ben Gourion…lorsqu’il accepta…la partition du pays en deux États… . 
Et l’on pourrait conclure avec cette réflexion …

L’histoire a souvent produit des individus courageux, en avance sur leur temps, qui étaient passés pour des traitres ou des hurluberlus….Celui qui a envie de changer et qui aura le courage de le faire sera toujours considéré comme un traitre par ceux qui ne sont pas capables d’évoluer, les poules mouillées qui ne comprennent pas et haïssent toutes formes de nouveautés. 

Les points de vue de ces trois personnages disent la complexité des relations entretenues avec l’État d’Israël, la difficulté de maintenir un état laïque, ligne originelle des premiers sionistes jusqu’à la dérive possible vers un état religieux. Chacun, Wald, père meurtri par la mort de son fils, Abravanel, rejeté à cause de ses idées et de sa culture ouverte sur le monde, sa volonté de conciliation entre Arabes et Juifs, comme trahi par la guerre entre ces deux communautés, pris dans la tourmente désespérante de son intimité meurtrie par la mort violente du mari de sa fille, et cette dernière, portée par les idées de son père, dans une relation distante avec lui, mais portant la tragédie des femmes violentée par la guerre, chacun est obligé de s’arranger avec sa souffrance respective, le conduisant à avoir un point de vue personnel sur le drame et la construction de cet État. 
Le personnage de Shmuel, attachant parce qu’en quête désespérée d’une compréhension de son monde, ayant reconstruit dans son coeur la famille nouvelle qu’il espérait, (et là se pose en filigrane la question d’être le fils de qui ?, Jésus, fils de Dieu ou simple réformateur juif ? ) se retrouve en descendant vers le sud, dans un monde s’ouvrant sur le printemps, dans le désordre du quotidien des bourgades, sur la beauté des femmes, prend encore le temps de poser ses affaires dans une rue, et il resta là à s’interroger. 

Lire, relire, parler, discuter, revenir sur ses propos, y introduire le doute, puis en affirmer d’autres. Le travail de l’étude et du dialogue. 

Amos Oz, dans un entretien au journal Marianne, répond à la question du journaliste :

Le judaïsme est une querelle éternelle. Ne me demandez pas pour qui je suis dans ce livre. J’essaie de restituer les convictions de chaque protagoniste avec le plus d’exactitude possible.
….
Les autres pays ne se sont pas construits sur des rêves, mais sur des réalités démographiques, politiques, géographiques. Parce qu’Israël est né du rêve, il est forcément décevant comme tout rêve accompli, que ce soit un voyage exotique, un désir brûlant, voire l’écriture d’un livre. 

Ghyslaine Schneider

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GINZBURG Natalia, Les mots de la tribu

Malgré la difficulté des personnages à trouver les mots qui correspondent à la réalité ou au monde des songes, pour dire la vie intérieure qui est la leur, l’écrivaine Natalia Ginzburg, dans ce récit autobiographique met en scène, en littérature, de  son regard d’enfant à celui d’adulte, les « mots » (maux ?) de sa famille (jeu sur les sonorités que permet la traduction française du titre italien Lessico famigliare, ce dernier renvoyant plus à ce vocabulaire intime, propre à une famille, ces mots familiers de tous les jours comme ceux prononcés dans les moments importants de la vie, dont la simplicité dit la charge d’émotions intérieures et, ici, l’impossible parole de dialogue ). 

Née pendant la première guerre mondiale, elle traversera la seconde dans les épreuves d’une vie adulte, dans les séparations et les douleurs que cette guerre engendra, les sourires et les moments heureux. La tribu, c’est sa famille, son père qui ne sait que commenter une situation grave qu’« en hurlant », avec une série d’expressions et de mots toujours les mêmes,  et sa mère, répétant de courtes phrases, variant dans le temps et dans ses rapports avec les autres membres de la famille ou leurs amis. Avec un fond de plainte, mais avec cette capacité à contourner vite les obstacles de la vie par un attachement à une matérialité qui la sauve de ses angoisses. Il y a les enfants, les trois garçons et les deux filles. Leurs amis, garçons et filles. Puis les adultes qu’ils sont devenus avec la vieillesse des parents, les amis disparus, les amours rompus ou tués,  durant le fascisme mussolinien et la guerre. 

Le texte s’ouvre sur les expressions du père et se termine sur la discussion de ce père et de la mère, vieillis, seuls éléments encore permanents de cette tribu aux enfants dispersés par la vie, ses épreuves et l’évolution personnelle de chacun. Il ne reste à ces parents  que les souvenirs de leur propre enfance, autour desquels ils continuent à jouer dans leur manière de les dire depuis toujours, ou à reprendre deux vers d’un poème fait par les amis de la tribu:
Soir et matin, comme il est beau de voir
La maison et la cave de Perego.
C’est ainsi que, inlassablement, les mots reviennent tout au long de la vie, devenant la culture de la tribu. 

Mais la qualité extrême de ce texte tient en deux points.
Souvent les événements importants sont peu décrits.  Parfois aussi, rien ne les laisse prévoir. Ils sont arrivés et narrés en quelques mots. Ce creux  silencieux, se coulant dans le temps de la narration, suspend le discours en déroutant l’imagination  du lecteur. 

Cette sobriété évite l’écriture d’événements qui pourraient faire appel à des sentiments pathétiques, et dans cette absence, une véritable émotion, pleine de pudeur, apparaît. Pour dire le passage inéluctable du temps, par exemple, Natalia Ginzburg décrit la maison d’édition où elle travailla jusqu’à la guerre avec son mari, Leone, tué par les fascistes. Du début de la guerre, alors que les Allemands envahissaient la France, à …peu à peu la guerre s’éloignait, puis ce passage des poêles en briques au …chauffage central, des étagères aux …bibliothèques suédoises, des reproductions punaisées aux …tableaux, le temps de plusieurs années sont passés et l’on devine que la vie  de tous a changé. En un seul court paragraphe. Les objets deviennent les personnages-marqueurs d’un temps qui est passé et ce regard par dessus l‘épaule, dit le changement inéluctable de l’humain. Ce mouvement rapide, rétrospectif dans le temps de l’écriture traduit  des événements prégnants, importants, mais dépassés par le mouvement de la vie.  Ce qui est essentiel alors, c’est leurs émotions qui surgissent, et continuent à vivre dans les personnages de la tribu, qui les modèlent et nous envahissent.

Mais aussi, les expressions de la « tribu », répétées si souvent, avec de faibles variantes, courtes, violentes ou furieuses semblent traduire une impossibilité de déplier les sens de ce qui est vécu, avec toutes les nuances du ressenti intérieur. On reste à la surface des événements, dans cette absence d’écoute des désirs et des ressentis de l’autre. 

Cette absence de description laisse la porte ouverte au lecteur pour imaginer ce qui n’est pas écrit, et c’est là encore que ce situe l’essentiel de cette écriture.
C’est dans ce qui est tu qu’il faut aller chercher ce qui est vital pour chacun et qui fait sens. 

Ghyslaine Schneider

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FAYE Gaël, Le petit pays

Petit Pays, de Gaël FAYE

Ce roman a une particularité d’écriture. Il nous entraîne très vite à l’intérieur de la narration, tiré par le rythme musical dense de la phrase, mais cependant qui prend le temps de construire les émotions des personnages et les situations. Dans le temps heureux des enfants, le temps de la tragédie monte progressivement, tout en faisant irruption brutalement dans le monde de l’innocence enfantine, éjectant le narrateur-enfant au coeur même de la violence.
Les propos du narrateur-adulte encadre le début et la fin du roman, prenant en charge cette voix de l’enfant qu’il fut. Nous savons, dès le début que les deux enfants de la famille sont en Europe et que l’adulte, porteur alors du je de son enfance, revient dans son pays pour un motif futile mais découvrant que ce retour était motivé par un désir de re-voir, re-trouver cette mère éperdue de douleurs et perdue dans le bouleversement et la perte de son monde, dans cette violence inimaginable qui l’a engloutie jusqu’à la folie. 

Mais ce roman est aussi celui de l’enfance : l’enfance vécue comme un moment initiatique  et qui confère à l’histoire cet aspect brutal, bien que progressif, du dévoilement de la réalité du monde, et la vérité de l’enfant. Cette découverte se fait par cercles concentriques dans la vie de Gaby. Tout d’abord, le malaise puis l’absence de dialogue entre ses parents jusqu’à la séparation. La conscience de la perte que ces deux adultes, ses parents, apportent de stabilité, de bonheur, de beauté et de sécurité. Comme si ce mouvement familial pouvait s’élargir métaphoriquement à une guerre entre ethnies, les Hutus et les Tsusis, cette dernière étant celle de la mère des enfants, le père, lui, est français. Mais celui-ci, comprenant ce que sa femme vit, tentera de la protéger, mais en vain, parce que frappée, détruite par la mort de sa famille assassinée au Rwanda. 

L’enfant sortira progressivement de la maison familiale pour aller dans l’impasse où il se retrouvera avec les enfants voisins. Là, sera le lieu de l’apprentissage avec l’autre que représente les pairs, dans la naissance de l’amitié, de la fidélité à l’ami et de la découverte progressive que ces liens peuvent se transformer au cours des événements et des influences que ces enfants ne maîtrisent pas.  La naissance d’enfants soldats.

On y sent toute la douceur de l’enfance, temps de la découverte d’un espace plus grand que celui de la famille, lieu de confrontation des avis différents, des envies partagées de franchir les interdits pour s’affirmer et apprendre à devenir homme.   A faire joyeusement ces bêtises nécessaires de l’enfance. Gaby le découvrira progressivement au sein du groupe, cette expérience s’accompagnant d’une visite  au Rwanda où il pourra percevoir, avec son regard d’enfant, la montée du danger, la nécessité de la fuite pour ses cousins. Il en revient comme chargé d’une expérience supplémentaire au regard de ses amis restés dans le lieu clos de l’impasse. 

Un personnage, légèrement plus âgé que lui, Francis, se chargera de détruire ce cocon protecteur de l’enfance. Pris d’une colère qui ira jusqu’à la fureur meurtrière, il fait éclater le groupe, met en évidence la clarté et la justesse du ressenti de Gaby, et l’éloignement de ses amis.

Et alors, à l’intérieur du roman, justification de cette histoire, mise en évidence de la force de la littérature. C’est une femme grecque, Mme Economopoulos, porteuse de cette civilisation,  à la fois de guerre, par l’Iliade,  de démocratie par Péricles, de l’origine des mythes et de la tragédie inscrit dans les drames -drama- d’Euripide, d’Eschyle….qui fait irruption dans le drame qui monte. Elle seule sait, dans ce monde qui se défait, dans sa maison sans barrière pour délimiter son jardin, que pour apprendre le monde, il faut peut-être rentrer dans celui des mots et des phrases, dans l’imaginaire, celui où se trame, indicible, le monde réel.
Elle fait découvrir la lecture à l’enfant qui se protégera du monde extérieur, fissuré fortement pour rentrer dans celui qui le protège tout en le construisant, lui procurant de nouvelles émotions,  le faisant, à son insu, et à travers les histoires, devenir progressivement adolescent et lucide.

Et le poème qu’elle lui donne quand il quitte Bujumbura, ville du Burundi, jouxtant de près la frontière rwandaise,  s’accompagnait de ces mots …prends garde au froid, veille sur tes jardins secrets, deviens riche de tes lectures, de tes rencontres, de tes amours, n’oublie jamais d’où tu viens….
Et c’est sa bibliothèque qu’elle pense à lui transmette quand elle ne sera plus, ce qu’il vient chercher, sorte de terre nourricière, dans la rencontre du désir souterrain et impensé de retrouver sa mère. 

La violence de la guerre se traduit surtout dans la folie de cette mère. Retrouvée par hasard par un ami de la famille, elle est ramenée, brisée dans l’univers familial. Sa douceur, une forme de passivité, son isolement au milieu des siens, ne sont que des éléments superficiels de sa tragédie intérieure. A-t-elle conscience qu’elle tue l’innocence de la petite soeur de Gaby, Ana, parce que sa soeur et ses enfants sont morts assassinés ? Tous les soirs, elle revient susurrer à l’enfant l’enfer vécu, dans leur maison, au Rwanda ? Perdue dans sa douleur, perdue dans sa folie… noyée à jamais dans ce qu’elle a vécu. Une transmission destructrice.

Et l’ultime expérience du roman, celle qui signe la fin de cette vie enfantine, ce fut le départ…quand on quitte un endroit, on prend le temps de dire au revoir aux gens, aux choses et aux lieux qu’on a aimés. Je n’ai pas quitté le pays, je l’ai fui. J’ai laissé la porte grande ouverte derrière moi et je suis parti, sans me retourner. Je me souviens simplement de la petite main de Papa qui s’agitait au balcon de l’aéroport de Bujumbura.

C’est le point d’orgue de la perte, la rupture finale qui bascule dans un monde inconnu et dont il faudra faire l’épreuve. Et,  comme un fil d’Ariane, ce poème donnée le jour du départ, poème de Jacques Roumain… « Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait: natif-natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure des arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes… »

Et le narrateur d’ajouter:
Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore.

Et encore au début du roman, comme une mise abyme, devant des images d’enfants migrants recueillis,  transis de froid, affamés, déshydratés…jouant leur  vie sur le terrain de la folie du monde, le narrateur  détourne le regard de ces images, elles disent le réel, pas la vérité. Ces enfants l’écriront peut-être un jour. 

Ghyslaine Schneider

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