Henri Bauchau: Dans tout roman, il y a une part d’autobiographie. Mais il faut la transcender pour aller vers quelque chose de plus vaste.
Goliarda Sapienza: L’amitié a le pouvoir d’annuler le temps et l’éloignement.
Positano est ce petit village près de Naples, où un jour, le réalisateur Citto Maselli, avec sa compagne Goliarda Sapienza, viennent le visiter pour un tournage éventuel. Goliarda, qui du cinéma passera à l’écriture, est loin d’imaginer de pourvoir vivre une amitié aussi intense, durant une dizaine d’années, jusqu’à la mort de son amie.
Mais, nous sommes dans un roman où l’autobiographique se mêle au romanesque par les différentes situations de narration, passant d’un je à une troisième personne, narratrice omnisciente, une distanciation issue de cette écriture rétrospective qui caractérise ce récit, comme une mise à distance symbolique des émotions.
Il est fait à la demande de celle que l’on appelle la princesse, Erica, qui par sa beauté et la majesté légère de son allure, suscite le regard à la suivre. Elle dira à Goliarda: …la vie est toujours un roman non écrit si elle reste ensevelie en nous, et je crois en la littérature. Seul ce qui est écrit reste et avec le temps devient vie, la seule vie lisible….Puis après des encouragements à se tourner vers l’écriture, à s’éloigner de son engagement artistique et politique auprès des grands noms italiens du cinéma comme Luchino Visconti, cette amie lui demande: ce conseil que je te donne est intéressé: malgré toutes mes défaillances, je suis assez narcissique pour désirer ne pas disparaître complètement une fois morte. Peut-être qu’avec le temps, dans vingt, trente ans, tu écriras sur moi.
Déjà, au cours de sa confession, savait-elle….
Cette rencontre, avec des dates rares qui n’apparaissent que vers la moitié du texte, aura duré de 1948 à 1958. Et ce récit fut écrit en 1985.
Mais, abordons-le.
Les premières lignes de ce roman commencent sur l’apparition d’Erica, la petite princesse. Son pas captivait tous les regards quand elle descendait les quelques marches qui menait au rivage où une barque l’attendait pour prendre le large.
En apercevant cette fascination qu’elle exerçait sur les inconnus, tous ces visages qui immanquablement se tournaient pour la regarder, Goliarda sentira jaillir le désir d’une possible rencontre. Cet ancien village, Positano, miroir de ce qui se déroulera dans l’intimité des êtres, commence à être envahi, d’une foule fébrile et agitée, et lui aussi disparaîtra dans la modernité vulgaire des touristes pressés et inconsistants, où la société de masse a tout nivelé. C’est pour cela que sa classe naturelle, son aura, renvoient à un temps finissant, et dans ce moment de basculement, Erica en devient le symbole.
Tout est presque dit en ce début romanesque.
L’on retrouve souvent dans la littérature ce thème de la rencontre amoureuse que ce soit chez Flaubert ou chez Stendhal, par exemple. Elle se concrétise dans le regard qui est porté sur la personne qui apparaît, telle une révélation dans laquelle il joue un rôle essentiel. Le regard des amis, des inconnus, celui de la protagoniste Goliarda qui ne peut soutenir l’éblouissement qui est provoqué: les yeux se baissent et l’image intérieure qui se forme construit le désir de rechercher, de re-trouver cet autre, inconnu.
La rencontre se fera dans le temps, quelques années après l’avoir aperçue. Ce fut un choc véritable, métaphore de la découverte d’un autre, avec qui tout est possible, mais sans le savoir encore. Dans ce contact quasi physique dans lequel Goliarda se cogne à elle en remontant les escaliers du village, le temps lent de l’écriture traduit la rapidité de pensée durant l’événement et permet la description du ressenti. Et le souvenir de son sourire me pousse à la chercher,…comme une rendez-vous que je ne pouvais manquer.
Ce n’est qu’à la troisième fois qu’un lien se créera, dans le regard porté sur la beauté d’une nudité jamais vue jusqu’à cet instant qui fera détourner ce même regard, et dans une voix connue, qu’une rencontre, à nouveau se concrétise.
L’écriture particulière, si souvent poétique, de Goliarda Sapienza permet de décrire un événement et de déployer en même temps toute une réflexion à la fois sur celui-ci et sur l’écho qui se fait dans le coeur de l’écrivaine, interrogeant ses paroles et celles des autres, par des associations remontant librement, recul perçu dans l’expression souvent répétée, … m’entends-je répondre… . C’est ainsi qu’au moment de la troisième rencontre, on lit toute une réflexion, en filigrane, sur les amours féminines, et plus trivialement, pour éviter que l’émotion jaillisse au grand jour, sur ses pieds et ceux de la princesse lorsque cette dernière lui demande une crème solaire, scène toute en délicatesse érotique. L’invitation à prendre le thé est lancée, le début d’une longue amitié. Les rencontres se succèdent au bar de Giacomino, puis l’orage les fait se rencontrer à nouveau, à se réfugier en courant dans la maison d’Erica. L’écrivaine a cette capacité créatrice de suggestion dans les scènes qu’elle compose, dans un mouvement cinématographique, laissant entendre les bruits, comme celui de la pluie ou de l’orage, les sensations de chaleur, presque les odeurs. Une véritable richesse évocatoire qui continue à vivre à l’intérieur du lecteur.
De plus, la sensibilité de Goliarda a la particularité de percevoir ce qui n’est pas encore dit, comme le mot de meurtrière qu’elle pense puis dit dans son sommeil. Erica, dépassant sa surprise lui répondit: Et pourquoi pas ? Ne sommes-nous pas tous un peu assassins, peut-être? N’avons-nous pas tous, ou presque, rêvé au fond de nous-mêmes de tuer le tortionnaire du moment, opprimés par le mal que nous font les autres, même inconsciemment ?
En relisant le roman, l’on comprend le sens de ces paroles. Ainsi l’écrivaine dissémine, de loin en loin, des indices qui nous approchent, à nos dépens, du coeur du sujet, presque entièrement contenu dans ces paroles.
La princesse devient une figure maternelle, aimante, protectrice pour Goliarda qui en arrive à s’interroger sur le fait qu’aucun enfant semble être là. Une manière de rencontrer peut-être un manque lointain… Mais la description qui est faite d’Erica trahit presque une regard amoureux, comme si la surprise de l’amour pour une autre femme pouvait être contenue aussi dans l’amitié. La beauté de sa nouvelle amie la saisit et la fait s’abandonner, à travers cette amitié qui ne la jugera pas, à son charme.
Et c’est ainsi qu’Erica se mettra à parler d’elle, de sa vie, de sa famille, de ses amours. Le roman de sa vie. Roman imbriqué dans celui que Goliarda écrit sur elle, en écho au sien propre.
Elle racontera son enfance aristocratique et l’amour qui unit ses parents au point de n’être pas présents pour leur trois filles. A la mort subite du père, puis de la mère, ce ne sont que dettes enclenchant une changement de vie pour les jeunes filles, dans le surgissement du déclassement, bien que sa famille était très ancienne, et était autrefois très riche -ils possédaient la moitié de la Sicile- mais les quartiers de noblesse nous les avons tous perdus.
Le désir de s’en sortir la fera se retourner vers le frère de son père qu’elle ne connaissait pas parce que rejeté par sa famille. Sa soeur ainée Fiore se suicide à la suite des paroles de la cadette, Olivia, comme si celles-ci la libérait. Elle écrira, mais Olivia a raison, il n’y a ni vérité ni amour dans le monde, seulement du mensonge, en réponse au cri de sa soeur, alors rien n’existe, tout est mensonge ! Alors mieux vaut mourir.
Pour éviter qu’Olivia suive la même pente, l’aide financière et la présence d’Alessandro seront réelles. Dans ce nouveau lien affectueux avec cet oncle, vécu comme un lien paternel, devenant le père désiré, dans une relation à la fois amoureuse et filiale, elle en oublie le sien. Elle rencontrera cette seconde figure de l’oncle, son ami Leopoldo et pour protéger Olivia à qui il donne une dote conséquente, elle accepte de devenir sa femme. Olivia dira qu’elle a fait le plus grand sacrifice pour une femme. Elle a épousé Leopoldo qui la voulait depuis longtemps, il en avait même parlé avec Alessandro, recevant de lui… un non furieux et définitif. Elle l’a épousé et cela m’a donné le temps d’attendre l’amour…
Et c’est ainsi que la relation d’argent avec les hommes marque la vie d’Erica.
Son père désargenté continuera à vivre comme si de rien n’était, mais permettra à ses filles d’avoir une enfance merveilleuse, un vrai conte de fée. Il en est de même pour la famille de Ricardo, son cousin avec qui elle veut se marier. Le père d’Erica expliquera à sa fille, de ne pas y songer… Il n’a pas un centime. Et au fond, je pourrais même l’accepter mais c’est lui qui ne voudra pas . Il grandit bien…un vrai homme d’honneur, et il sait qu’il ne peut pas faire ton malheur en t’entraînant dans l’indigence. …je t’ai dit que c’est un homme d’honneur, et l’honneur impose de ne pas se faire entretenir, ma chérie. Effectivement, plus tard ces paroles seront renversées, contredites par Ricardo puisque Erica rapporte ses mots: Je serai un artiste mais certainement pas un ingénu ! Et une réflexion tardive: Ricardo avait une sens très exact de l’argent. L’honneur a alors disparu, mué en intérêt par le temps et l’opportunisme.
L’argent aussi s’invitera dans sa relation avec Leopoldo. Elle aura la preuve tangible des raisons de la mort d’Alessandro, face à la perte de sa fortune, perte provoquée par son ami Leopoldo. Si elle construit une collection d’art moderne pour avoir sa galerie, elle découvrira la part sombre de l’homme qu’elle a épousé sans l’aimer vraiment, se traduisant dans une incapacité à éprouver du plaisir avec lui, ce qui le rendra fou. Violentée, violée, et dans un accord juré et tacite entre eux, elle glissera vers l’empoisonnement. Pour elle, son vrai crime fut de haïr cet homme que j’avais épousé, mais Leopoldo reste le véritable criminel …. Ce grand professionnel du crime.
C’est ce qu’expliquera Goliarda à Giacomino qui sembla avoir tout compris, après le suicide d’Erica et les désaccords avec Ricardo qu’elle avait retrouvé, … un crime blanc, disait mon père, crime qui échappe aux hommes et à la loi. Si meurtre il y a ici, il est l’exploitation psychique par Riccardo de la peur d’Erica de l’idée de suicide qui la poursuivait depuis longtemps, bien que celle-ci le défendra au-delà de sa mort.
L’argent dans ce roman, semble faire et défaire les relations humaines, pousser les êtres au désespoir, au déshonneur ou à la cupidité. Il semble être une aide à l’amour, mais sa puissance est morbide et destructrice. Il ne peut apparaître de peu de soutien pour les douleurs humaines ou la recherche du bonheur, parce que, même présent, l’humain est soumis à des forces plus profondes et secrètes à lui seul.
La narratrice aborde un aspect souvent peu évoqué dans la littérature: la peur du désir féminin. Contraint avec Leopoldo, révélé et épanoui au contact de Marco, son désir effraye Ricardo. L’ayant poussé à l’aveu, ce dernier a l’étoffe d’un meurtrier, explique Erica à Goliarda. Pour elle, quand on aime, on dit tout à l’autre, mais ce qui poursuit un meurtrier, est le besoin de parler aux autres d’une part de soi-même, parce que se taire est terrible, parce que le premier art de qui décide de tuer est de savoir se taire avec tout le monde. La parole d’Erica libérée déliera celle de Ricardo, sa violence contenue, sa peur profonde de la femme. Et cette franchise devenue insupportable, révèle l’absence d’amour, comme le disait Olivia à Fiore.
Erica continue…dans ma sensualité, il apercevait l’empreinte, le germe de la meurtrière, l’inclination à tuer qu’il avait senti toujours latente chez toutes les femmes, sa mère comprise …Et ce rêve très freudien de Ricardo….dans l’évocation d’un rapport sexuel avec une femme, que…son vagin se transformait en une machine aux dents pointus qui broyait son sexe. Pour les hommes, ce désir féminin est le « continent noir » dont parlait Freud. La peur de Ricardo pour Erica est profonde, quasi pathologique, au-delà des contingences du couple.
Et l’ensemble se referme sur l’argent. Encore. Un crime blanc à l’intérieur duquel se superpose cet incompréhension et l’effroi du désir féminin, avec le motif profond de l’argent qu’Erica a bien saisi.
Au contact de la personnalité d’Alessandro, elle s’est adaptée en changeant son regard sur la vie, déterminant ses choix futurs. A sa suite, elle comprit que tout était bluff et jeu et qu’il n’y avait qu’à accepter les règles ou périr…. Comme Olivia , sa soeur, qui pensait qu’il n’y avait ni vérité ni amour dans le monde, seulement du mensonge.
Elle continue dans sa confession … Je compris enfin que la moralité sans faille pouvait être une arme meurtrière pour nous et pour les autres…je compris aussi que dans toutes les familles -comme dans les nations- il doit avoir quelqu’un qui fait un pacte avec le diable pour permettre aux autres le luxe de l’utopie et de la moralité.
Et c’est cette moralité devenue insupportable à Erica qui, dans l’amitié avec Goliarda, pourra être dite, oblitérant cet étrange pacte qu’elle fit avec la vie. Alors qu’Olivia pense que sa soeur est d’une moralité absolue … et on sent que c’est une victoire sur sa nature et cela suscite l’admiration. Peut-on penser qu’elle a donc compris? Est-ce pour cela qu’elle fuit ?…Mais qui pourrait dire sa capacité à se sacrifier quand elle aime ? continuera-t-elle. Admirative, la petite soeur qui a tout saisi du sacrifice d’Erica, sacrifice, par ailleurs devenu inutile ! On semble être dans l’apparence contradictoire d’une moralité construite par l’éducation, se rapprochant plus du sentiment de l’honneur, et de celle, structurée par la réalité triviale de la vie, donnant le change sur les simples intérêts humains, et signant pour exister un pacte avec le diable.
Ce roman est ainsi un éloge à l’amitié qui permet, par l’échange qu’elle implique, un renouvellement de soi. Mais plus que cette amitié entre Erica et Goliarda dont la confession du meurtre en est la preuve, c’est aussi le roman de la perte, celle de l’innocence d’une éducation reçue, s’en allant avec l’enfance et l’entrée fracassante, douloureuse dans le monde de la réalité. Perte aussi des parents, de la soeur, des êtres rencontrés et aimés, de cette présence de la mort dans l’expression aristocratique d’Erica, celle d’un monde qui est en train d’être remplacé par la multitude, la vulgarité, l’indélicatesse d’apparence et de pensée. Comme Positano qui se meurt jusqu’à voir ses fonds marins vides de toute vie sauf d’une colonie de sachets de plastique répandus sur le fond qui recouvre tout l’amphithéâtre englouti du village. Telle une vision contemporaine !
L’écrivaine ou « le poète » laissera entrer la mythologie dans son roman, une trace ancienne, creusant un sillage dans l’histoire des personnages, miroir de leur nature profonde. C’est l’abandon sur la plage d’Erica, à la beauté subjuguante, sa mince silhouette étroitement drapée dans son voilée transformer de loin en une colonne ionique plantée sur la plage. Le territoire ancien et grecque est planté.
Mais aussi, la beauté inaccessible et froide de Baudelaire.Ne peut-on penser à son poème intitulé La beauté, lorsque que Goliarda décrit le personnage d’Erica ?
Je suis belle, ô mortels! Comme un rêve de pierre
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tout à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.
…………………..
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles.
C’est alors que le silence du village la pénètre et qu’Ulysse surgit dans le regard de sa mémoire, sa rencontre avec les Sirènes, fascinantes et envoutantes… leur chant n’était que le silence que j’entends maintenant,…silence de l’errance muette et sereine des âmes des morts le long du pré infini du non-être. Et elle peut alors écouter la voix de mon démon camouflé en ange. Mais dans la maison d’Erica, c’est Goliarda qui est Ulysse, elle qui ne peut se défaire de la fascinante Erica, lui disant j’ai eu l’impression d’être tombée dans la piège d’une meurtrière ou d’une Circé, comme tu veux. Puissance des mythes, ce village est fatal, chaque roche, mur, caroubier centenaire, les rappellent à l’esprit. Village où l’amour côtoie la mort ou donne la mort. Circé est celle qui donne l’éternité dans l’amour, mais qui annihile toute vie. Les deux personnages sont au centre d’un voyage.
Cassandre se dresse sur les ruines de Troie, et ses pleurs devant l’hostilité de la famille d’Erica pour celle de Ricardo était une prémonition, une prophétie inconsciente. Subrepticement, la mort, la descente aux enfers, s’annoncent dans les éléments de la narration. D’une manière lointaine, détachée, comme dans le personnage de Lucibello, qui, quand il trouve du danger en mer, il se transforme en véritable Charon.
La mythologie permet au lecteur de construire le sens sous-jacent au récit, le conduisant jusqu’aux derniers échanges dans la trivialité d’un sens redevenu commun. Il a été convié à un voyage à travers amour et mort.
Ne pourrait-on pas alors penser que les réflexions sur la littérature sont celles de l’écrivaine Goliarda Sapienza ? Une certaine forme de littérature est fustigée, celle où les personnages sont détournés de la réalité de la vie. Comme au début du roman de Flaubert qui ne manque pas d’attaquer tous ces romans dégoulinant de romantisme, particulièrement ceux de Walter Scott, renvoyant l’image de chevaliers servants, d’amours héroïques et heureuses, qu’on donnait à lire aux jeunes filles, où l’écrivain prête à Mme Bovary cette pensée « elle ne pouvait s’imaginer à présent que ce calme où elle vivait fut le bonheur qu’elle avait rêvé »*. L’idéalisation trompeuse de la vie, expliquera l’écrivaine italienne, la route absurde et abstraite tracée par des lectures mensongères, par exemple, « Comme le foglie », de Giacosa. Tu connais ça? Toute cette histoire édifiante de Nennele, la soeur héroïque qui sauve sa famille du désastre financier ! se projette, concrète, dans la vie des personnages.
Cependant, la littérature est aussi autre chose: elle permet la distance avec la vie, plutôt la vie confrontée au regard d’un grand écrivain. Non par ses histoires, mais par ces extraordinaires architectures que sont les grands romans … où Erica trouvait un apaisement à cette douleur de vivre qui peu à peu se transformait en une sorte de détachement de tout, une mélancolie parfois douce,…comme probablement il arrive aux écrivains quand ils inscrivent sur le papier l’histoire d’une de leurs héroïnes.
L’on imagine facilement que ces paroles sont l’expression de la vision de la littérature de Goliarda Sapienza, comme l’écriture, dans l’éloignement, de cette histoire d’amitié, devenue mélancolique, même si en apparence elle est teintée de vitalité et de joie, dans un roman construit d’une manière « architecturé ».
L’écriture de cette amitié, avec le temps qui la sépare de son vécu, permet de faire surgir un véritable élément autobiographique de la vie de Goliarda Sapienza, marquée par des tentatives de suicide. Et c’est pour cela, au moment de terminer ce roman, en 1985 qu’elle peut expliquer qu’ avertie par ce qui lui (Erica) était arrivé, j’essayai de toutes mes forces de combattre moi aussi cette obscure tendance au suicide qui, pendant une décennie, a balayé beaucoup de personnes de notre génération. Cette amitié lui a fait comprendre certains aspects de sa propre nature, tout en permettant, dans cet échange si particulier, d’amener l’autre à s’interroger sur soi. C’est ainsi que l’amitié est définie dans ce roman.
Une histoire romanesque qui dit la fin d’un monde, son changement et dans ce passage, où tout peut advenir comme quelque chose qui avait peut-être à faire avec le vent de complet changement qui frappa notre pays.
Et la littérature est là, aussi, pour dire ces mouvements.
Indissociablement, l’intime de l’individu, lié à la société, dans un liaison indéfectible.
Ghyslaine Schneider
* Flaubert, Madame Bovary