Un roman qui se déroule dans l’Algérie contemporaine.
Un personnage, Nabil, marié, amoureux de sa femme, père de deux enfants étudiants, enterre son père qui vient de mourir, après s’être remarié avec Zined. Evénement et situation difficiles pour le fils qui ne comprend pas et n’admet pas les souffrances endurées par sa mère.
A la fin des funérailles, son oncle Messaoud lui avoue un secret bien tu : il n’est pas le fils de son père mais de l’écrivain Camus. Bouleversante nouvelle qui remettrait en cause l’héritage conséquent du fils, mais aussi ce qui expliquerait la distance affective entretenue avec ce père mort. Des conseils pris avec sa femme, et dans ce contexte de deuil, il commence à mener son enquête, se rapprochant des personnes qui auraient pu connaître l’écrivain en compagnie…d’une algérienne.
Ainsi se met en place, une vision particulière de Camus, celle de l’homme, conquérant et grand séducteur, dans cette Algérie coloniale.
Et une séduction se construit en parallèle, celle d’une collègue de Nabil, Sarah, tous deux professeurs, et tous deux passionnés de Camus. Sarah, son fiancé (imaginaire… ?) étant absent, piège Nabil dans un dîner en tête à tête. Les personnages endossent, à travers leurs expériences, leurs quêtes, leurs désirs, les aspects humains de la vie de l’écrivain.
Ce roman est écrit sur le mode d’une histoire familière que l’on raconterait à un ami. Les personnages ont de la présence, poussés au bord de la caricature par l’écrivain, pour rebondir et montrer un autre versant d’eux-mêmes. Sarah, image de la beauté éternelle, lie l’intelligence et l’esprit, mêlés à une certaine douleur agressive que cette extrême beauté, justement, peut donner dans les rapports avec les hommes. Face à elle, le personnage de Nabil paraît falot, mais sa capacité de retrait à l’intérieur de lui-même lui permet de comprendre ses intuitions et d’assumer finalement ses convictions, comme à la fin du roman.
Et, Camus, l’homme mais aussi l’écrivain. Inscrit dans Alger. Inscrit dans la mémoire de ses amis qui se souviennent de lui. Imprégné et imprégnant Tipasa…continuant à vivre dans son pays.
Cela permet à Hamid Grine, écrivain algérien, de reprendre ce que l’on pense de Camus en Algérie. Une manière d’apaiser les douleurs et les incompréhensions qui sont nées des positions de l’écrivain dans le conflit de la guerre d’Algérie.
Mise ne parallèle de la misère des Algériens en Kabylie, objet des articles écrits par Camus avant la guerre, et l’énergie du désespoir qui poussent les jeunes de maintenant à vouloir partir de leur pays. Mais aussi, un retour sur la manière dont Camus nomme, dans ses romans, les algériens, sous le nom générique de l’Arabe.
Rappel aussi du conflit réel entre Beauvoir-Sartre et Camus.
Enfin le rôle des écrivains algériens durant le conflit…et un hommage à Jean Sénac et à Alleg, français engagés pour la cause de la libération.
Il y a dans ce roman, ces mouvements, des personnages à la vie de Camus, entre fidélité amoureuse et séduction, entre regards passés et présents sur cette société algérienne, entre l’amour de Camus et du personnage pour la mère, amour indéfectible, et ce renvoi permanent au Premier homme, dans la recherche de l’origine et de l’amour du père. Avec, tout le long du roman, un regard bien lucide aussi sur la société algérienne contemporaine, saupoudré de cet humour revigorant, dont sont capables les algériens.
Une belle manière de mettre en scène ce romancier, français d’Algérie.
En parlant de Camus et de Kateb Yacine, Benamar Medienne (spécialiste de Kateb Yacine) écrit :
« Leur point commun, c’est la puissance de séduction. Ils sont des séducteurs en eux-mêmes par le simple rayonnement qu’ils dégagent… Séducteurs, mais, comme les chats, ils sont des insoumis. Ils ont un orgueil superbe, insolent, ils ont l’orgueil de la provocation… De leur vivant, ils sont des mythes. Ils sont vivants, réels, politiques, ils traînent dans leurs textes une quantité de symboles qui les transcendent, mais ils sont toujours à hauteur d’homme… Camus et Kateb sont des êtres magnifiques parce qu’ils nous rassemblent. »
Ghyslaine Schneider
Collection : Après la lune, dirigée par Yasmina Khadra