Ce roman est saisissant et sa parution en 2010 à Athènes, souleva de nombreuses questions. Elles furent d’ordre politique principalement mais aussi d’ordre littéraire.
La forme structurelle du récit interroge.
C’est un texte formé de onze chapitres et d’un épilogue. L’événement essentiel, le minage de ce monument grec qui surplombe la ville d’Athènes et son explosion, là où il se dressait, il n’y avait plus que le ciel… c’était maintenant l’horizon qui s’ouvrait, la stupeur des gens, l’arrestation puis la condamnation arbitraire du jeune auteur de l’attentat, ne se reconstitue qu’à travers les différentes approches des chapitres. Par le récit du gardien qui entend l’appel du monument , je L’ai entendu m’appeler…sentir Sa présence…et Lui qui m’appelait, la majuscule permettant à celui-ci d’endosser la fonction d’une divinité, Qui a bien pu avoir l’idée de faire du mal a quelque chose d’aussi sacré?
La vision ensuite change pour considérer cette d-étonnante nouvelle, pour passer par l’explication policière, puis par des témoignages sur ce jeune marginal de 21 ans, sans emploi. Enfin la parole est donnée à CH. K. auteur des faits. Apparait la possible influence de cet acte: un documentaire photocopié renvoyant à la SSEA, fondé par le poète Makris en 1944, sous l’influence des surréalistes, avec le témoignage des poètes de l’époque. Puis le récit reprend avec la narration de la fusillade et la mort de l’auteur des faits. Un jeune appelé raconte comment il vécut l’événement au coeur de sa propre peur, entre la confusion entre rêve et réalité, en une frontière ténu, translucide comme du papier de riz japonais.
Ce court récit de la mort de CH.K. a pour titre Peine et châtiment, en écho au roman de Dostoïveski, « Crime et châtiment ». Le passage de Crime à Peine, dans le texte grec et en allant s’appuyer sur l’explication étymologique, c’est à dire, dans le roman russe, la présence d’un jugement et d’une déportation en Sibérie, à une mort donné comme une rançon à la volonté d’absence de mise en interrogation de cet acte de destruction. Le symbolique est éjecté, l’arbitraire semble prendre la place. Le narrateur ne pose-t-il pas alors les limites de la notion de responsabilité de l’acte de chaque individu, de celui (le soldat) qui est obligé d’assumer la fusillade, embarqué contre lui-même, sans possibilité de s’extraire de cette situation, et dont la seule issue se loge dans la réalité-rêve, à celui qui a commis délibérément en apparence cet acte, dans une forme d’appropriation jouissive, mais dans la confrontation insoluble entre un passé glorieux et cette Grèce qui ne s’appartient plus ?
L’ensemble de ces chapitres est précédé à chaque fois de courts paragraphes introductifs en italiques qui peuvent faire penser à des didascalies mais qui orientent ce qui suit entre théâtre, récit filmé, documentaire, liste, transcription d’interviews, de témoignages, de photos. Interrogé sur ce procédé, l’auteur explique que l’ensemble de ces informations miment la vie au cours de laquelle les gens doivent se faire une opinion au milieu de toutes les informations reçues. De ce fait, le récit, dont le style change à chaque fois, semble se casser, mettant le lecteur dans la position de construire un sens à sa lecture.
Christos Chryssopoulos, dans un interview, parle d’informations réalistes ayant pu jouer sur la décision du jeune homme.
Cette idée de la destruction de monument ou d’oeuvre emblématiques n’est pas nouvelle. Courbet a participé au déboulonnage de la colonne Vendôme en 1848, les surréalistes, Marinetti et les futuristes, les dadaïstes (voulant détruire la Joconde) ont eu une influence tardive en Grèce. Il cite dans le roman la déclaration d’un poète peu connu, Makris, fondateur de cette société anarchiste prônant la destruction du Parthénon. Quatre points de cette déclaration sont publiés, les autres furent jugés trop dangereux pour l’être, relevant de l’inédit et de l’étrange absolu. Un objet ou oeuvre d’art doit rester dans le cadre de l’histoire et du temps, sinon sa survivance (est) illusoire et grotesque. CH. K. rappelle la misère idéologique en matière de voyage et de tourisme. Effectivement, ce lieu est envahi par des flots continus de touristes, et l’image du Parthénon perd sa sacralité par sa démultiplication en images sur toutes formes de support. Ainsi, il porte les idées de ce poète quelque peu obscur Yorgos V. Makris. Détruire ne serait pas un acte nihiliste mais une forme de renouvellement. Dans la responsabilité de provoquer ou d’assumer ce renouvellement.
On pourrait alors se poser la question si la littérature esthétise la violence et serait alors dangereuse ? Si on se pose une telle question sur une œuvre d’art, répond Christos Chryssopoulos, l’on se rend compte que la société ne peut avancer avec des solutions aussi radicales. Par ailleurs, l’écrivain ne pourrait ni écrire ni faire de la littérature. Mais ce texte porte bien la mention de « roman » et le Parthénon est finalement reconstruit à la fin de l’histoire du roman, comme le sera la colonne Vendôme dans la réalité…. Dans la rencontre de la fiction littéraire et de l’histoire. La destruction est une pensée nihiliste. De ce fait, l’écrivain, à la lumière des événements de la Grèce contemporaine, pense que la destruction de tout symbole du pouvoir ne fonctionne pas.
Dans son monologue, CH. K. aborde des réflexions qui ne sont pas, pour le lecteur, sans faire écho à ce que vit la Grèce actuellement, événements qui avaient déjà commencé au moment de l’écriture du roman. Tout d’abord, il pense que cet acte, rendu à la réalité, lui appartiendra complètement non parce que tout le monde en parlera, mais à ce moment il en aura la stricte propriété de jouissance. Le peuple grec ne possède rien même si les succès sont partagés et non les échecs, et même si le Parthénon est un lieu de mémoire qui appartient à tous, dans cette ville, (où) rien ne nous appartient, la propriété n’existe pas, et si la ville d’Athènes est ambivalente comme un corps maternel englobant, c’est un espace qui renvoie au temps de la tragédie, ce soleil impitoyable. Ici tout est emprisonné dans la lumière. La reprise anaphorique de dans notre ville fait émerger la schizophrénie grecque dans sa définition de son identité, coincée entre une fidélité au passé, considérée comme un héritage mondiale et l’humiliation du présent. La ville, déliquescente, Les immeubles, les quartiers, nous-mêmes. Les crachats par terre . La mauvaise odeur d’un corps qui transpire. Les jurons. L’air sec.La ville. Notre territoire: deux ou trois mètres carrés chacun, n’engage pas à se sentir à la hauteur de cet héritage ancien. Quand nous montons près de lui, nous lui jetons des regards furtifs, puis nous tournons les yeux vers la ville qui s’étend à nos pieds et cela nous met de mauvaise humeur, car elle est indigne de lui, et nous aurons beau faire, nous ne parviendrons jamais à être dignes d’un tel chef-d’oeuvre.
Christos Chryssopoulos rappelait que durant la dernière crise grecque, un journal présentait le Parthénon traversé par le symbole de l’euro. Ainsi, la beauté, disparue de la ville, interroge si les hommes la recherche à l’intérieur d’eux-mêmes.
Le Parthénon est le symbole de la Grèce et s’autoriser à penser sa destruction comme une rumeur courrait à un moment dans certains journaux européens, dénonçant les restaurations financièrement trop chères, c’est montrer le mal dans lequel le pays est plongé. Les statues en bronze dans la ville disparaissent parce que les gens revendent la matière fondue. Poser la question de la beauté et de la dignité serait un début de réponse.
La littérature, en écho dans ce roman aux difficultés actuelles de ce pays, rend force et puissance à l’écrivain, au poète, celui que Platon veut mettre dehors de la Cité pour la confier à la pensée rationnelle des philosophes. Seul, le poète a la puissance de dire ce que ressentent les habitants de la Cité, les douleurs, les espoirs et les drames vécus. Si l’épigraphe du roman, reprenant les vers de Yorgos Makris,
C’est nous les fous, les songe-creux
de la terre
(…)
En nous est enclos l’univers tout entier
et nous ne sommes
rien en-dehors de lui.
(…)
Nous sommes les Annonciateurs
du chaos.
annonce, comme le titre, cet acte fou de la destruction du Parthénon, elle appelle dans la mémoire, ces extraits de la lettre de Rimbaud à Paul Demeny, le 15 mai 1871
Le Poète se fait -voyant- par un long, immense et raisonné -dérèglement de tous les sens.
(…)
donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des -animaux- même; il devra faire sentir, palper écouter ses inventions;
(…)
Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans son âme universelle …il serait vraiment -un multiplicateur de progrès- !
Ghyslaine Schneider