Dans un écho à la citation de ce roman autrichien par l’écrivain espagnol contemporain, Henrique Vila-Matas, dans son roman, Le docteur Pasavento.
La fin du roman de Joseph Roth, La fuite sans fin, écrit en 1927, provoque la décision du Docteur Pasavento, personnage éponyme du roman, à « réapparaître dans le monde, fut-ce timidement ».
L’écrivain autrichien raconte dans son roman l’histoire d’un officier, Franz Tunda fait prisonnier en 1916, s’échappant d’un camp sibérien où il fut envoyé. A partir de là, le personnage, lié à son ancien monde par la photo de sa fiancée et par ses papiers d’identité, débute un long cheminement.
L’espace de ce monde russe, en pleine révolution, l’oblige à la perte de son identité autrichienne, et en miroir, porté par le désir de revoir cette fiancée, son retour à Vienne, retrouvant ici son nom, le fait arriver dans la perte d’un monde écroulé, l’Empire austro-hongrois où il n’est plus rien. Pertes successives.
Ce parcours de la Russie vers Paris pose la question du destin et du libre-arbitre. Si une décision se transforme en loi et dirige la vie, que devient le libre-arbitre ? Si la vision de Roth se fait pessimiste devant la nouvelle société viennoise, elle s’amplifie en envisageant la culture européenne qui a mille trous, comblée des emprunts aux autres cultures du monde, culture qui perd sa caractéristique propre pour devenir une fête masquée, non une réalité.
Et le visage de Roth surgit dans la narration en écrivant de Tunda. Il a l’expression d’un homme continuellement et hautainement étonné par l’étrange état de choses de ce monde….Il me paraissait posséder déjà ce degré d’intelligence qui rend un homme indifférent.
Ce personnage, devenu aventurier par les circonstances d’un monde qui change, qui l’emporte et dans lequel il ne se reconnaît plus, devenu alors « superflu » conduit, dans le roman de Vila-Matas, à revenir au monde en sortant de l’isolement, mais aussi à jouer le jeu d’un changement d’identité, le Docteur Ingravallo. Tout comme Frantz Tunda devient le frère du polonais Baranowicz, dans le roman de Josep Roth, pour vivre ou survivre… Pour fuir ailleurs.
Ghyslaine Schneider