Elle me parût si charmante, que moi…moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvais enflammé tout d’un coup jusqu’au transport…je m’avançais vers la maîtresse de mon cœur.
L’Abbé Prévost : Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut
Wer die Schönheit angeschaut mit Augen
Ist dem Tode schon anheimgegeben.
« Celui dont les yeux ont vu la Beauté
A la Mort dès lors est prédestiné… »
August Von Platen
Lorsque l’on évoque La mort à Venise, de Thomas Mann (1912), écrivain allemand, ce sont souvent les scènes du film de Visconti (1971) qui surgissent de notre mémoire, film dans lequel le cinéaste a donné une certaine vision de l’œuvre, l’œuvre cinématographique comme une œuvre à part entière. L’on connaît la trame de la rencontre entre l’écrivain reconnu qu’est Gustav Aschenbach avec le jeune adolescent polonais Tadzio, dans une Venise progressivement enfermée par le choléra.
La nouvelle, avec dans le film, le retour de la musique de Malher, fait entendre la constante symbolique de la mort.
Si pour Aschenbach, la lecture de Platon lui conseillerait la fuite, sa connaissance des phénomènes des passions humaines et des détours de son âme, ne résiste pas devant la montée prégnante de se plonger dans le regard de ses étranges yeux couleur d’aube. Il y rencontrera le sourire de Narcisse… fasciné et fascinateur.
La tragédie se noue dans le lien qu’entretiennent la beauté et la mort. Epuisé par sa poursuite dans les ruelles de Venise, vaincu par la maladie et par l’incarnation de l’idée même de Beauté, l’intelligence, la perspicacité d’Aschenbach, la raison, investies dans son travail d’artiste, mues par ce « motus animi continuus », qui le faisait rechercher la beauté dans l’écriture, cèdent, se désagrègent, tombent, impuissantes devant le jaillissement de cette passion vécue dans la présence du jeune adolescent, passion arrivée trop tard, passion devenue mortelle.
Ghyslaine Schneider