Si un lecteur, un lecteur imaginaire demandait quelle est donc l’histoire qui est racontée dans Si près d’Hélène Cixous, ne pourrait-on lui répondre : « Mais voyons, c’est une histoire parmi d’autres et de tant d’autres gens, nés en Algérie. Histoire sur leur re-tour, au cœur de l’expression « le pays natal ». Dans la prégnance de la destinerrance.
Mais s’agit-il bien de cela dans ce texte ?
A-t-on la couleur du temps, les effluves odorantes de la nature ? Si peu… Et l’Algérie… Des noms de lieux, bien-sûr, topographie réelle de l’imaginaire de la vie d’avant, géographie en regard des villes Oran et Alger, et pour elle, aux deux extrémités, l’une terrienne, et l’autre maritime, le Clos-Salembier et Saint Eugène, ou la rencontre vivante- Si près- avec le père mort, au pied du cyprès. Puis loin de la mer, El-Biar ou l’amitié longue avec J.D., et à son bord de mer, le Jardin d’Essai ou les courses folles de l’enfance avec le frère et l’amour de J.D. pour ce Jardin décès. Dans la rencontre des temps, l’avant, le maintenant, celui de l’écriture, leur annulation-continuation dans la trame de la vie et des mots. Il y a cet avant le voyage et ce pendant qui structure le livre. La relation à la mère et à ceux qui n’accompagnent plus H. …
Mais est-ce seulement cela ? Pourrait opposer ce lecteur imaginaire. Alors, il faudra l’inviter à s’asseoir, l’inviter à parler, à faire monter doucement les mots de sa lecture, de ce qui n’est jamais dit dans un tel voyage, où retourner…c’est revenir en avant. Pour que le Python de l’Oubli n’avale pas le Lion. Dans une sorte d’albertinage. Parce que nommer, écrire les mots de son voyage (intérieur), c’est résister à l’oubli, à la mort. C’est être du côté de la vie.
Il y a certaines scènes comme des tableaux. Scène de la mère-au-maillot de bain. Celle qui est là dans tout le livre. Celle qui déchaîne l’énergie d’H. à retenir le temps qui passe mais à le voir sur ce visage qui n’est pas un visage, c’est un visage qui lui échappe, qui la singe. Scène avec la caméra prêtée pour filmer la Chose Algérie, filmant avant la mère dans un autre maillot, caméra devenue le pinceau du peintre-fille faisant émerger de la toile du regard la gloire du corps plus fort que le temps. Tout depuis toujours, tout chemine à l’intérieur de nous, continuant sans arrêt à vivre et à façonner l’être.
Le surgissement d’une phrase J’irai peut-être à Alger. Energie de la colère de la mère. Sansmoi. Le cri de guerre de la mère. Comme une question interrogeant ce qui appartient à l’une et à l’autre. Et la relation entre les deux femmes. Le voyage, une manière de couper avec la mère mais aussi le désir de ne rien perdre de ce qui reste de sa vie. Dans ce pourquoiement d’Eve, dans ce désapprouvement, et dans la résistance d’H. , le désir d’aller se renforce et fait surgir une autre phrase. Je veux aller voir la tombe de papa. Une sorte de transgression au sentiment de la mère, rejetée, expulsée d’Alger, pensant qu’il n’y a plus de traces. Un passage de la Méditerranée vers l’intérieur d’elle-même, mais si difficile puisqu’il faut se séparer de la mère en soi…cette séparation impossible… et pour me rapprocher. Moi de moi. Serait-ce alors perdre le vivant du passé en nous, affronter un nouveau deuil, aller au-devant d’une perte irrémédiable ? Puis l’abandon de la mère disant A Alger, le meilleur poisson…c’est le restaurant de la Pêcherie. Dans un sentiment réciproque d’acception de la mort. La sienne. Celle de l’autre.
Ces atermoiements, ce serait rôder autour de la Chose Algérie. Tergiverser, c’est aller vers Tout-ce-qui-ne-pourra-plus-jamais-être, mais ne pas aller, c’est garder, préserver le territoire connu, la beauté du jardin avec le père.
La littérature, explique-t-elle, de manière explicite, sera le lieu, l’abri, l’avenir, le radeau quand mon père m’a été arraché*. H. au royaume de la littérature dont les mots tissent ce lien avec ce pays. Elle s’approche d’Oran, vécue dans le bonheur, et d’Alger, c’est ce qui finit mal, (dit sa mère). Aller, c’est se dé-placer d’un territoire à l’autre et en re-venir. Alors pourquoi ce constat que chaque fois que j’ai cherchée une entrée je me suis trouvée égarée ? Etre à l’extérieur de l’intérieur. Trouver l’entrée du cimetière juif, parlementer pour entrer au Jardin d’Essai. Puis à l’intérieur, dans le cimetière, dans l’enlacement de la retrouvaille sur la tombe, dans l’enlacement avec le dragonnier du Jardin. Ce mouvement, voyage d’une écriture qui s’entend à l’intérieur d’elle-même, qui déambule dans l’être profond, qui n’a pas peur de se dire, pour être au plus près de soi. Pour être soi. Dans la conscience interrogante des places de la mère et de la fille, Elle est postée à l’entrée de la vie. J’observe la sortie. Être du côté de la vie. La vie au-delà de la vie.
L’écriture qui saisit la vie, rien de plus fidèle aux infidélités de la vie, s’interroge sur elle-même, saisissant à travers rêves et poésie, la sensation, l’émotion au-delà de l’anecdotique, quand les algériens aidant à la recherche de la tombe renvoient à la tragédie grecque, avec son chœur et son coryphée. Et le livre est parcouru par le désir de la lettre à Zohra Driff devenue Lettre à Z.D., se poursuivant dans la lettre de l’écrivain public. La lettre, fil conducteur de l’écriture du livre. Les lettres des mots. Livre tout traversé par le père. Dans le rattachement au cœur de ce territoire qui est la langue française. Comme Jacques Derrida. La naissance d’un livre vécue comme une rencontre amoureuse, lui le livre, dans un jardin, là où butine le regard, où rien ne ressemble autant à une résurrection que la passion d’un livre…nous sommes fous de passion, c’est comme ça le livre.
Notre lecteur imaginaire sera ému par ce qu’il aura découvert de ce cheminement où la mort se voit dans le visage, se vit dans l’absence des êtres, où le souvenir est convoqué contre sa perte, une autre forme de mort. Pour trouver un infini… le chagrin…immortellement jeune. Il aura compris que, dans l’absence de paysage car il s’agit de passions non de vues, ce livre reste difficile à écrire parce que sur le chemin de l’écriture de la rencontre avec soi, de la rencontre avec les douleurs, les émotions, celles des retrouvailles de celles passées, mais bien présentes, oubliées dans l’irisation de la vie, H. use un titan par page. Il découvrira aussi que le questionnement mouvant entre H. et l’Algérie, l’exalgériance, ce qui persiste en elle, c’est l’Algérie, l’autre, l’inventée, la rêvée. Dans la définition majestueuse de ce qu’est une terre où H. est née. C’est mon humus. Ma stèle hyperfunéraire. Je suis un caillou de granit rouge. La tombe me garde en rêve et me résume.
* Interview avec Laure Adler, Hors-champs, du 25/06/2013
Ghyslaine Schneider