Warda, la Rose.
Warda, la guerrière, l’amante libérée, la femme défendant les droits des autres femmes …la mère, si brièvement .
Warda, roman d’une femme plongée dans l’Histoire et dans la lutte pour l’affirmation de ses idées .
L’écriture de ce roman de Sonallah Ibrahim met en mouvement des temps différents . Celui du narrateur Rosdhi, vécu comme une enquête, en décembre 1992 chez son cousin Fathi , dans la recherche de Chahla, alors que je ne l’avais jamais connue de près et que notre relation n’avait jamais pris la tournure intime qu’elle avait dans le rêve, et de Yaroob son frère , rencontrés au Caire, en 1957, il y a plus de trente ans .
Les jeunes gens sont séduits alors par les mouvements communistes, dans l’Egypte de Nasser. Engagé, recherché, emprisonné, Rosdhi perd la trace de la jeune fille. Mystérieusement, à son arrivée à Mascate, en 1992, et dans ce pays d’Oman où tout se sait, un homme l’approche et lui confie des cahiers , ceux de Chalha qui a pris comme nom de guerre Warda.
Par ces cahiers, c’est un autre temps qui surgit , celui de 1960 à 1975 , période extrêmement politique, où certains pays se sont libérés du joug des empires colonisateurs.
Ecriture des temps des alliances politiques avec les grands blocs, les Soviétiques, la Chine de Mao, mais aussi temps de la fascination des guérilleros, Castro et surtout Che Guevara.
Ecriture du temps des pays se libérant des colonisateurs.
La voix de Warda surgit dans le temps de l’écriture de ces cahiers. Elle cohabite, si intime et si personnelle , les moustiques bourdonnent autour de mes oreilles, mes vêtements me collent à la peau et je sens l’odeur de ma transpiration. Je rêve d’un bain, d’un shampoing et de Chanel n°5, avec les événements de ce monde moyen oriental et les réflexions politiques, la violence tribale est spontanée, elle produit des rebelles, non des révolutionnaires : des gens qui prennent les armes contre le pouvoir mais à qui il manque la pensée qui guide le fusil.
Ces deux voix, au cœur du combat politique réformateur des sociétés arabes, se rejoignent lorsque sa pensée, vibrante et passionnée, exprime sa volonté de libérer les femmes de l’emprise de la tradition tribale et de la domination des hommes. Elle les aidera en créant des écoles, en les réunissant pour parler, leur expliquant les moyens d’avoir moins d’enfants, en les soutenant quand certaines d’entre elles rejoignent les rangs du Front de Libération du Dhofar .
La voix intime disparaît progressivement avec la conscience de l’impuissance de gagner le combat devant la remontée des anciennes puissances et le jeu de nouvelles alliances, faites de compromissions et de trahisons. Elle surgit à nouveau, désespérée et humaine, à la fin du dernier cahier, tragédie d’une femme et d’une sœur, qui se dénoue dans l’investigation de Rosdhi, en janvier 1993.
A la fin de la journée, j’avais faim et j’étais nauséeuse… Rêvée cette nuit que j’ouvrais mon frigo à Beyrouth et qu’un chat sauvage en bondissait… .les chamelles sont épuisées et affamées. Le sable chauffé par le soleil me brûle les pieds… Encore senti un mouvement dans mon ventre …La nuit tombée , je me sens totalement perdue. Le désert s’étend à l’infini.
La conjugaison de ces différentes écritures, journal intime et enquête policière, permet à ce roman attachant, au côté de ce personnage féminin, si courageux, et à travers ce regard rétrospectif, de comprendre, d’une certaine manière, sous un éclairage d’un temps terminé, le monde arabe actuel.
Ghyslaine Schneider