DJEBAR Assia , Oran, langue morte

Dans Le blanc de l’Algérie, Assia Djebar dit son amour pour cette ville, lieu de vie de son ami, auteur dramatique et metteur en scène, Abdelkader Alloula, assassiné en 1993.
Ici, le nom de la ville fait parti du titre, composé de la seconde, langue morte. Après la lecture de ces nouvelles, on réalise que la violence a confisqué la parole de celles qui essaient de lui résister, particulièrement ici, les femmes. 
Deux parties, deux titres, Algérie entre désir et mort, et Entre France et Algérie, se décomposant entre cinq nouvelles, un conte et un récit.

La première nouvelle donne son titre à l’ensemble des textes. Celle de l’histoire d’une fillette qui a ses parents tués en 1962 et qui revient trente ans plus tard dans cette ville de son enfance. Douleurs de la remémoration, de l’exil en France, dans les cris surgis de la mémoire de l’enfant qu’elle fut et désir d’écrire. 
Ecrire Oran en creux dans une langue muette, rendue enfin au silence. Ecrire Oran, ma langue morte.

Elles disent l’honneur des filles que les familles défendent, même au prix de la mort, plus fort que l’amour de l’enfant; l’amour d’un homme et d’une femme, avec entre eux la poésie et la musique, dans une Algérie enfermée dans la violence religieuse, Isma morte, trois balles au coeur.
L’histoire de ce professeur de français, assassiné par un adolescent, et dont l’épouse veut partir, loin, le plus loin possible. 
Le conte de Shéhérazade, histoires obscènes,  expliqué à des élèves , entraînera la mort du professeur, et dans la ville blanche d’aujourd’hui et si loin du Tigre, Omar entend sans cesse Haroun el Rachid la calife, devant le corps de la femme en morceaux, sangloter.
La mère et la femme française mariée à un algérien, reparti dans son pays avec sa fille. Un jour, la rencontre brève en Algérie entre Annie et sa fille Fatima, parlant les deux langues, le français et le berbère, mais….elle s’était habituée à l’idée d’avoir une mère française, mais pas une mère qui n’observait pas le jeune musulman…C’est pour cela, je le sais, qu’elle ne voulut pas pour moi, enlever son tchador !
La dernière nouvelle est Le corps de Félicie. Félicie, jeune femme française, devenu Mme Miloudi,  a tout de suite aimé cet algérien, maréchal des logis dans l’armée française. Elle est là, venue   d’Oran, dans le coma, dans cet hôpital parisien. Ses enfants autour d’elle qui se souviennent chacun de leurs relations avec leur mère. Souvenirs de cette femme libre, sachant ce qu’elle veut,  belle dans l’amour de son mari et de ses enfants. Félicie Marie-Germaine devenant Yasmina Miloudi, pour être enterrée prés de son mari, dans son village, à Beni-Rached. 

Et Oran des rires, même les jours de guerre, cité de la gouaille, du raï, des mauvais garçons et des filles en cavale ! On venait du reste du pays s’encanailler ici, hier; on le fait peut-être encore mais plus en plein jour! En plein soleil désormais, on s’entre-tue ! Tout recommence, Félicie, comme dans ma jeunesse, juste avant l’indépendance, l’époque, après tout, de nos meilleurs souvenirs à tous deux!…

Magnifique hommage aux femmes algériennes durant la décennie noire. 
Elles ne se croient pour la plupart, ni héroïnes ni victimes. Elles palpitent, voilées ou non, entravées ou aventureuses en dépit des dangers? Elles vivent, , juste avant le coup fatal – sur un fils, un frère, ou sur leur propre corps- ne s’abatte.…
A quoi bon les inscrire, peu leur importe, elles – celle qui va mourir, celle qui va s’abriter, se recroqueviller ou celle qui se tait, yeux baissées pour survivre ?
Après tout, que que soit l’approche tentée pour les écrire frémissantes, le sang – leur sang- ne sèche pas dans la langue, quelle que soit cette langue, ou le rythme, ou les mots finalement choisis.

Oran, langue morte fut écrit par Assia Djebar en 1997.

Ghyslaine Schneider